lundi 25 avril 2011

Un débordement végétal

Les routes de l'Inde du sud traversent des paysages foisonnants où toutes les espèces végétales semblent représentées. La végétation luxuriante ne s'étiole jamais complètement en raison du climat. Le pays connaît deux moussons dont la principale débute en juin dans l'Ouest et concerne tout le pays en juillet -août ; la deuxième, issue du Golfe du Bengale, se déploie en novembre et décembre sur le Tamil-nadu et l'Andhra-Pradesh, accompagnée de cyclones.
 Jamais on ne voit donc tous les arbres dénudés au même moment, car chacun  a son cycle propre. 

Le tek

Un frangipanier  escalade la terrasse avec ses fleurs couleur de crème délicate au parfum douceâtre:


Son voisin paraît beaucoup plus rébarbatif avec ses fruits en boulets de canon, dont on se demande d'ailleurs s'ils lui appartiennent vraiment ou s'ils sont les produits d'une liane épiphyte: c'est un kigalia africana.


Mais la fleur qu'il recèle au coeur de son tronc  suggère une tout autre personnalité:



Certains arbres se révèlent nourriciers comme le tamarinier qui pousse au bord des routes et dont la gousse fournit une pulpe acide très utilisée en cuisine indienne pour remplacer le citron .


On la retrouve sur les marchés sous forme de pâte après que les administrations des villages se sont chargées de la récolter pour  céder ensuite aux commerçants cette précieuse denrée.





L'anacardier porte les noix de cajou; ces noix poussent à l'extérieur du fruit et cessent leur croissance à partir d'une certaine grosseur. Mais il faut laisser grossir le fruit avant de récolter les noix.


Les noix sont ensuite grillées pour être débarrassées de leur coque.



Enfin, parmi les arbres nourriciers voici le bananier-roi dont la fleur mérite à elle seule l'admiration; trente variétés différentes poussent en Inde.




C'est un véritable grenier que nous traversons: certaines rizières sont encore vert tendre,


et dans d'autres la moisson est en cours ou achevée. . 


On aperçoit de nombreuses meules de paille dans les cours des fermes.


Le sésame fleurit aussi,


et la liane du poivrier escalade troncs et branches puissantes,


tandis que  l'arachide sort de terre.



Les hommes de cette terre  généreuse en tirent des fruits succulents qui aboutissent sur les marchés locaux  tournant dans les différents villages chaque jour de la semaine.  Couleurs des fruits et des légumes, couleurs des vêtements féminins et masculins: le régal est complet.


Voici des jacks 


que le marchand ouvre pour en extraire les fruits jaune pâle, semblables à de petits poivrons, d'un goût exquis.




samedi 16 avril 2011

Un palais en dentelle

J'étais probablement pressée de me laisser glisser à l'extrémité sud de la péninsule, peut-être pour partager avec vous le délire de couleurs du mausolée de Gandhi et le gigantisme du site de Kanyakumari et de ses monuments.

Mais je reviens avec délices un peu en arrière pour évoquer la halte précédente au palais de Padmanabhapuram. Pour simplifier on peut dire que Padmana est un équivalent  du dieu Vishnu, et que le suffixe "puram" ou "pur" signifie "la ville"; ceci explique sa présence à la fin de nombreux noms, comme Singapour, "la ville du lion".

Le palais en question abritait le roi de Travancore à l'époque où l'Inde était constituée d'une juxtaposition de royaumes rivaux; construit au XVI ème siècle, il fut agrandi au siècle suivant. Véritable dentelle de bois de teck posée sur des piliers de granit, il semble réunir les caractéristiques des architectures asiatiques continentales et de l'architecture indienne.


Son entrée offre d'emblée cette synthèse, mais c'est évidemment le balcon de bois qui attire tous les regards à la fois par son volume et sa légèreté.


Comme dans tous les lieux importants  on n'y pénètre qu'après avoir abandonné chaussures et sandales.
 Est-ce un souvenir de l'époque où seul le roi avait le droit de porter un parasol ou un parapluie et où ses sujets devaient rester torse nu, à moins de s'acquitter d'une taxe? Il paraît même que des fonctionnaires pénétraient dans les demeures pour relever... le tour de poitrine des femmes, qui servait de base de calcul à ladite taxe.




Pendant que ses envoyés sillonnaient le pays en quête de ces importants renseignements, le roi se prélassait dans un lit à baldaquin ou se balançait sur la "petite" balançoire ci-dessous.


L'intérieur du palais se déploie dans un labyrinthe de bâtiments qui m'évoquent plutôt le Japon vu par Kurosawa. La fonction royale permet au souverain de dominer la rue et d'en savourer le spectacle à l'insu de tous: c'est le rôle de ces fenêtres et de ces lattes qui filtrent en même temps la chaleur et la lumière.



Plus que tout, les décorations des plafonds en bois de tek ou de rose fascinent avec leurs caissons et leurs  fleurs de bananiers qui rappellent le fruit-roi de la région.




Après notre visite  des appartements privés situés dans la partie supérieure, nous abordons la partie basse qui comprend principalement une immense salle de danse et un temple soutenu par des piliers en granit.
Ceci explique l'obligation de visiter pieds nus. Le temple fut  construit pour la fête de dashara qui dure 10 jours et neuf nuits dans toute l'Inde; elle célèbre la déesse Kali.


Nous récupérons nos chaussures au milieu d'une foule colorée d'écoliers et d'écolières, 


et, probablement inspirés par les plafonds du palais, nous achetons des bananes au premier marchand voisin.








mardi 5 avril 2011

Kanyakumari, un confluent


En se laissant glisser vers le sud du Kérala, on arrive inéluctablement à la pointe extrême de la péninsule: Kanyakumari - cap Comorin pour les Européens. Un lieu sans intérêt en lui-même, malgré son sable prétendument multicolore, mais hautement symbolique puisque s'y rencontrent trois mers, l'Océan indien, la Mer arabique et le Golfe du Bengale.
Nous y étions un samedi après-midi et des centaines de personnes se pressaient au bord de la mer pour y admirer le coucher du soleil; familles flânant au milieu des marchands ambulants et des mendiants. Atmosphère de fête foraine.
A quelques dizaines de mètres de la plage, plongeant ses piliers dans la mer un bâtiment en béton ouvert sur les côtés et haut de trois étages auxquels on accède par une rampe intérieure: on pense à un parking d'aéroport, assez incongru ici. Eh bien non! c'est juste une tour permettant de profiter du coucher de soleil jusqu'à son dernier rayon.
Mais plus sérieusement il s'agit d'un lieu de pèlerinage fameux car il réunit des symboles importants qui prennent des formes architecturales surprenantes, comme la statue de ce poète tamoul du début de l'ère chrétienne, Tiru Walluwar.

Comme on le voit, il faut prendre un bac pour approcher ce mémorial, mais la foule est si nombreuse et nous avons tellement flâné que nous n'arrivons pas à temps pour prendre les billets et nous nous contentons d'admirer le colosse à distance.

Enfin, voici le monument le plus célèbre du lieu - le premier qui a reçu notre visite - découvrez-le maintenant!


Non, ce n'est pas un sucre d'orge ni l'entrée de la fête foraine: ce n'est rien moins que le mémorial de Gandhi où ses cendres ont reposé avant d'être immergées. Voyez plutôt quelques photos qui s'y trouvent autour de l'urne qui conserve encore une partie de ses cendres.





Pour terminer notre pèlerinage nous y visitons en fait le premier temple de notre périple: celui de Suchindram. Il est dédié à Kaniakumari , une jeune fille tombée amoureuse de Shiva, selon la légende.
Impossible de distinguer ce temple du XVIIème siècle, complètement encastré dans les bâtiments du marché local. 
Nous laissons nos chaussures à l'entrée et, ce qui est plus rare, les hommes  abandonnent aussi leurs chemises. Nous cheminons dans un dédale de couloirs au plafond bas posé sur des piliers de granit noir en forme de lampes à huile; nous arrivons dans le saint des saints où se trouve la statue du dieu et en file nous venons recevoir de la main du prêtre la bénédiction concrétisée par une marque rouge posée sur nos fronts. Les  lumières sont rares, la chaleur est oppressante et nous étouffons.
Quand notre guide pose un billet de cent roupies dans le plateau du prêtre, celui-ci l'empoche prestement!
Beaucoup d'entre nous sont soulagés de remonter à l'air et à la lumière. 
Cette première visite laisse une impression forte et peu agréable. Pour moi, je me sens confrontée pour la première fois à ce qui constituait - j'en suis persuadée - l'essence des cultes païens de l'antiquité, et plus particulièrement des cultes à mystères dans lesquels les initiés recevaient des enseignements secrets à travers des étapes éprouvantes. L'ambiance entretenue par les prêtres de Delphes interprétant les paroles inarticulées de la Pythie ressemblait à cela, j'en suis sûre.Tout concourt à confronter le fidèle à une dimension autre, à une force primitive et violente. Je pense au roman de Somoza La caverne des idées




vendredi 1 avril 2011

Le Kérala, un coin de paradis?

Nous avons donc abordé l'Inde par l'État du Kérala (j'ai mis la carte dans le premier message: il est en bas de la page d'accueil de ce blog).
Arrivée à Trivandrum, la capitale de 2 millions d'habitants. La population du Kérala ne comporte qu'une moitié d'hindouistes, mais 25% de chrétiens et autant de musulmans. Les monuments de ces trois religions sont partout visibles et dans des couleurs parfois chatoyantes.




Au pied de cette statue, elle-même proche d'une grotte artificielle à trois étages contenant un autre Christ, une Pieta et un crucifix, des femmes prient, chantent et apportent des offrandes de fleurs. Rien à envier à notre Sacré-coeur, et une foi vibrante en plus!


Le Kérala est une région luxuriante où les plantations de cocotiers et de bananiers abondent et notre guide John (un chrétien comme l'indique son nom) nous explique que le poids des travailleurs des plantations a fait du Kérala le seul État à avoir un Parlement à majorité communiste.

Les deux jours qui suivent notre arrivée, nous les passons à Kovalam, village proche de la capitale, dans un hôtel qui abrite un centre de soins ayurvédiques. Je ne peux m'empêcher de penser que le jardin d'Eden ressemblait à cette palmeraie au milieu de laquelle se sont installés les bungalows disséminés parmi les cocotiers. Des cris d'animaux et des chants d'oiseaux tout le jour; beaucoup de croassements de corneilles qui sont nombreuses, mais d'autres bien plus étranges à nos oreilles . Dans le toit d'un bungalow une famille de singes a installé son quartier général. L'intérieur des bungalows respire un parfum colonial incontestable, et britannique de surcroît: plafond tressé en feuilles de bananier, moustiquaire, brasseurs d'air, meubles de teck...



Pour entretenir ce coin de paradis une foule de jardiniers souvent au féminin. Je me ferai la même remarque tout le long du séjour: l'Inde a plus d'un milliard d'habitants et le personnel est toujours très nombreux dans les hôtels et presque toujours charmant et efficace.
L'hôtel de Kovalam offre des soins ayurvédiques et des consultations médicales avec la pharmacopée adaptée. Tout le groupe s'est offert une heure de massage intensif à l'huile bien chaude, dont on sort bienheureux et cassé. L'offre du restaurant est en correspondance avec cuisine végétarienne et infusion à volonté.



Au pied de la falaise sur laquelle est juché ce lieu enchanteur, une plage infinie et ses cabanes de pêcheurs qui donnent une image de l'Inde plus réelle. Tous les matins une vingtaine de pêcheurs tirent un immense filet pour se partager une prise dérisoire: trois merlans et quelques sardines. Le spectacle est magnifique, c'est le même qu'en Afrique et dans bien d'autres lieux; comme en Afrique - surtout depuis quelques décennies où le poisson a disparu pour l'autochtone, traqué par les énormes chalutiers européens ou autres - c'est la misère. Un adolescent , fils de pêcheur, croisé sur la plage me raconte dans un très bon anglais son désespoir de ne pouvoir continuer ses études faute de moyens. Sur les marchés que nous parcourrons les poissonnières se montreront les plus agressives: on sent la dureté de leur vie et l'humiliation de leur condition, contrairement aux autres commerçants d'un abord facile.